Petite théologie pour minorité active (2/3): préserver! Past. Jean-Claude Thienpont

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De la part de Pierre, apôtre de Jésus-Christ, à ceux que Dieu a choisis et qui vivent en immigrés, dispersés dans les provinces du Pont, de la Galatie, de la Capadoce, d’Asie et de Bythinie.
(1 Pierre 1v1)

La marginalisation croissante de la foi chrétienne, de ses Eglises et de ses valeurs peut susciter un certain désarroi parmi les croyants. Mais ce désarroi ne provient-il pas surtout d’une erreur de perspective extrêmement commune, à savoir l’idée que l’Europe occidentale était chrétienne? Certes, on peut l’admettre d’un point de vue sociologique. Mais était-ce vrai d’un point de vue spirituel? 

Dans Le christianisme va-t-il mourir? (1977), l’historien Jean Delumeau, énumère les terribles dérives qui entachent l’histoire des nations soi-disant chrétiennes: conversions forcées, croisades, inquisition, colonisation, esclavage, racisme, déconsidération des femmes, bûchers de sorcières, exploitation éhontée des êtres humains et de la nature… Pire encore: au-delà de cette liste accablante pour les pays concernés, combien de fois les Eglises elles-mêmes n’ont-elles pas cautionné de tels choix de société pourtant foncièrement non-évangéliques et non-bibliques, intrinsèquement contraires à l’Esprit du Christ des évangiles, et en y ajoutant d’incessantes luttes internes, divisions, péchés d’orgueil et d’indifférence. Voire des abus inqualifiables. Et ne croyons pas que les Eglises protestantes seraient exemptes de ces tares. 

Heureusement, grâce à Dieu, il y a eu des exceptions, des sursauts de conscience, des réveils spirituels, des élans prophétiques, des conversions et des reconversions. Cependant, et malheureusement, ces correctifs n’étaient généralement pas le fait de la majorité ni des instances responsables, mais d’individus isolés ou de groupes restreints, donc de minorités, qui furent souvent brimées, voire persécutées « au nom du Christ ». 

Durant ces siècles où le christianisme déterminait culturellement la société, on a volontiers transposé des textes bibliques concernant Israël dans sa période de souveraineté nationale et d’exclusivité religieuse. Certains continuent de raisonner à partir de ce modèle (tels que le mouvement constructionniste américain, les adeptes de l’évangile de la prospérité, ou partiellement, la « nouvelle évangélisation » catholique romaine). Mais vouloir réaliser le royaume de Dieu sur la terre par des moyens purement humains peut s’avérer irréaliste et même dangereux. Qu’on se souvienne de Thomas Müntzer. 

Dans un livre remarquable, Etrangers et prêtres – Mission chrétienne dans un environnement postchrétien (2015), le pasteur et missiologue hollandais, Stefan Paas (élu « théologien de la patrie » en 2019), propose de plutôt nous tourner vers d’autres modèles, tout aussi bibliques et plus pertinents pour notre siècle: l’exil et la diaspora. 

A Babylone, la situation des exilés d’Israël était plus que précaire. Captifs « confinés » dans une ville étrangère, soumis à un régime politique on ne peut plus oppressant, immergés dans une culture religieuse en tous points contraire au Dieu de l’alliance, la pression était maximale pour qu’ils se fondent dans la masse et se conforment au modèle ambiant. Pour les exilés, transformer l’ensemble de la société ou créer une contre-culture était totalement hors de portée. Leur principal défi consistait à rester fidèles en toutes choses au Dieu de l’alliance et à préserver leur héritage spirituel, la pureté de leur foi et de leur pratique religieuse. D’où l’importance, par exemple, pour Daniel et ses compagnons, de maintenir des marqueurs d’identité tels que, entre autres, la prière quotidienne et l’observation des préceptes alimentaires. 

A nous, bien sûr, de nous interroger sur ce qui, en tant que disciples du Christ, doit nous caractériser, quelles que soient les circonstances, quelles que soient les évolutions de la société. Cela peut s’avérer particulièrement difficile dans le domaine éthique. Les minorités s’inquiètent souvent tellement de leur acceptabilité dans la société environnante, de leur crédibilité selon les normes ambiantes, qu’elles finissent par baisser la garde par rapport à leur identité propre et à assimiler, sans encore s’en rendre compte, des valeurs de plus en plus éloignées de la révélation biblique. 

L’ouverture de la première épître de Pierre nous indique la voie: les chrétiens sont des « immigrés », littéralement des étrangers, des gens dont l’origine se situe ailleurs, et ils sont « dispersés », ils vivent en diaspora. L’Eglise n’a pas de territoire. La cité de Dieu est spirituelle, pas terrestre. 

Notre vocation, notre défi, n’est donc pas de reconstituer une illusoire hégémonie chrétienne, mais de préserver notre identité en travaillant constamment sur le maintien de tous les « marqueurs » qui la constituent, donc en maintenant et cultivant – même si le mot n’est pas à la mode – une humble mais stricte obéissance à la Parole de Dieu. 

Seigneur, nous qui sommes exilés et dispersés au milieu de ce monde, aide-nous à rester fidèlement attachés à ton Evangile et à tous les aspects du modèle de vie qu’il implique. Amen. 

(A suivre…)

1Jean Delumeau, Le christianisme va-t-il mourir?, Paris, Hachette, 1977.

2Stefan Paas, Vreemdelingen en Priesters – Christelijke missie in een postchristelijke omgeving, Boekencentrum, 2015/2016.