Regardons autour de nous… tout est fait dans notre société, pour nous pousser à avoir toujours plus, toujours plus nouveau et… à faire, toujours plus. Aujourd’hui, l’avoir et le faire sont devenus les étalons d’une vie réussie.
Si quelqu’un ne possède pas grand-chose ou s’il n’a pas réalisé quelque chose de très visible, il n’est pas considéré. Par contre si quelqu’un a de grands biens et est en mesure d’étaler ce qu’il a acquis ou produit, celui-là est quelqu’un, il compte dans la société.
Nos deux textes nous montrent combien cette réalité actuelle est dangereuse tant elle met l’accent sur la réussite individuelle, la productivité, la rentabilité et non plus sur l’entraide entre les hommes. L’homme et la femme ne sont plus considérés dans leur dignité humaine, mais ils deviennent de simples outils dont la seule raison d’être est d’accroître le capital. Et ce qui est grave, c’est que cet état d’esprit nous gangrène parfois et réussit même à nous faire douter de notre valeur si, pour une raison ou une autre, à un moment de notre vie, nous sommes moins compétitifs. Cette attitude est à l’antipode du message de l’Évangile.
En gardant cette triste réalité à l’esprit, l’affirmation de Jésus peut paraître choquante: vous êtes le sel de la terre. Bien sûr nous sommes habitués d’entendre ce verset mais il ne nous touche peut-être plus avec la même vigueur. Prenons la peine de décortiquer ce que Jésus nous dit ici. Son affirmation est d’une actualité brûlante et est plus que pertinente pour l’homme et la femme du 21e siècle que nous sommes. Vous êtes le sel de la terre.
Il est intéressant de noter que Jésus ne dit pas: ‘vous pourriez devenir le sel de la terre, si…’, ni même: ‘vous serez le sel de la terre, quand…’
Il affirme tout de go, au présent: vous êtes le sel de la terre!
Cette déclaration, cette constatation de fait est interpellante. Bien sûr, en tant qu’être humain, nous restons imparfaits et limités, mais Jésus choisit librement de faire de nous le sel de la terre.
Qu’est-ce donc qu’être sel de la terre, aujourd’hui? Il s’agit avant tout d’une certaine manière d’être plutôt que d’agir. Tout ce que nous disons et faisons n’est que la conséquence de qui nous sommes au plus profond de nous. Nous devons donc porter toute notre attention, non pas tant sur ce que nous pourrions faire mais plutôt sur ce que nous avons reçu d’être. Nous avons reçu d’être le sel de la terre… C’est le Maître qui nous le dit.
Le sel, s’il reste dans son bocal, ne sert absolument à rien! Il n’a d’utilité que dès qu’il est mélangé à des aliments pour leur donner de la saveur, ou qu’il est utilisé pour conserver des aliments, ou encore, dès qu’il est jeté sur les trottoirs enneigés pour faciliter la marche, par exemple.
Dans la Grèce antique, le sel était le symbole de l’hospitalité et l’expression avoir mangé un boisseau de sel avec quelqu’un était une manière de définir une vieille amitié: j’ai déjà mangé un boisseau de sel avec lui. Dans l’Ancien Testament, le sel est le signe de l’alliance… on parle alors d’alliance de sel. Dans la déclaration de Jésus aussi, le sel est symbole d’hospitalité, d’amitié, de communion fraternelle, de tout ce qui rend possible la paix entre les frères.
Nous sommes le sel qui doit donner de la saveur à la vie de ceux qui nous entourent.
Comment être ce sel? Comment être des hommes et des femmes qui apportent du goût à la vie et qui rayonnent la paix? Écoutons ce que Paul nous dit dans son épître aux Corinthiens au 1/30: vous êtes en Jésus-Christ. Voilà la clé pour être véritablement sel de la terre. Nous devons prendre conscience que nous sommes en Jésus-Christ. Cette formule être en Christ n’exprime pas seulement une sorte de communion d’idées ou de sentiments avec le Christ, mais renvoie à une nouvelle manière d’exister, à une nouvelle manière d’être. Être en Christ, c’est être persuadés que Jésus nous justifie, nous sanctifie et nous rachète, dit Paul.
Qu’est-ce à dire?
Jésus nous justifie, c’est-à-dire qu’il efface les péchés de notre passé et de notre présent et nous rend justes, aux yeux de Dieu.
Jésus nous sanctifie, en nous mettant à part, pour son service.
Jésus nous rachète d’une vaine manière de vivre, en nous ouvrant à une vie nouvelle.
Être en Christ, c’est donc recevoir tous ces cadeaux que Dieu nous fait et accepter de nous laisser greffer en Jésus. Être en Christ c’est être un avec lui, comme une branche greffée fait un avec le tronc qui la porte. Nous disions tout à l’heure que l’important était non pas de faire et d’avoir, mais bien d’être. Veillons donc à être en Christ, à être attachés à lui pour ne plus former qu’un avec lui. Ainsi, et ainsi seulement, tout ce que nous dirons et ferons prendra un sens autre et pourra donner de la saveur et du goût à la vie.
Pour être sel de la terre, il nous suffit donc d’être unis à Christ. Être en Christ, cela veut aussi dire, être lucide sur les êtres et les choses et avant tout être lucides sur nous-mêmes. Paul est clair, lorsqu’il dit, au /29: aucun être humain ne peut se vanter devant Dieu. C’est un piège dans lequel nous devons veiller à ne pas tomber. Nous pourrions être tellement fiers d’être sel de la terre que nous voudrions nous rassembler tous dans un grand bocal et le fermer hermétiquement, pour être bien entre nous, en nous gargarisant de tout ce que Jésus a fait pour nous.
Nous n’arriverions qu’à une chose: nous dessécher et devenir inutiles pour Christ. Le sel n’est utile que lorsqu’il est sorti du pot pour être mélangé aux aliments.
Être lucide sur nous-mêmes, c’est aussi nous rendre compte que, même s’il est vrai que nous sommes le sel de la terre, nous ne sommes pas parfaits. Il y a, en chacun de nous, des zones d’ombre, des relents d’hostilité et de violence, qui doivent être soumis à la seigneurie du Christ. Pour pouvoir pleinement vivre la paix entre nous, il est important de laisser le Seigneur nous éclairer sur tout ce qui, en nous, met un obstacle au rayonnement de sa paix et de son amour.
Et encore une fois, il ne s’agit pas de faire des choses, mais de nous laisser faire par Christ, de nous soumettre à sa volonté, de le laisser restaurer tout ce qui, en nous, a été blessé, perturbé, éteint par les aléas de la vie. Nous laisser faire par Christ pour qu’il puisse vivre à travers nous et que nous puissions vraiment être des porteurs de son Évangile de paix.
Être sel de la terre, c’est être humble, c’est nous regarder les uns les autres d’une manière toute neuve. Ce qui est important, ce n’est pas notre richesse, le nombre de nos diplômes, ce n’est pas non plus notre statut dans la société ou ce que nous avons déjà réussi à faire… Ce qui est important… c’est que nous sommes tous aimés du même Père.
Ce qui fait notre valeur, c’est que Christ nous a unis à lui.
Nous sommes sel de la terre, vivons donc notre vocation! Que la saveur transpire de toute notre vie et à chaque instant de notre vie.
Past. Bernard-Zoltán Schümmer